Le Vieux Port

J’étais venu à pied. Pour le plaisir de flâner sur le port, en mangeant des cacahuètes salées. J’aimais cette promenade. Quai du Port, quai des Belges, quai de Rive-Neuve. L’odeur du Port. Mer et cambouis.
Les poissonnières, toujours en voix, vendaient la pêche du jour. Daurades, sardines, loups set pageots. Devant l’étal d’un Africain, un groupe d’Allemands marchandait de petits éléphants en ébène. L’Africain aurait raison d’eux.

Extrait du livre
« Total Khéops »

 

Je pris une bière, puis deux, puis trois. J’étais à l’ombre, à la terrasse de la Samaritaine, sur le port. Ici, il y avait toujours un peu d’air de la mer. Ce n’était pas à dire vrai de l’air frais, mais c’était suffisant pour ne pas dégouliner de transpiration à chaque gorgée de bière. J’étais bien ici. A la plus belle terrasse du Vieux-Port. La seule où l’on peut jouir, du matin jusqu’au soir, de la lumière de la ville. On ne comprendra jamais Marseille si l’on est indifférent à sa lumière. Ici, elle est palpable. Même aux heures les plus brûlantes. Même quand elle oblige à baisser les yeux. Comme aujourd’hui.

Extrait du livre
« Solea »

 

Dehors, il faisait un temps superbe. J’avais oublié que le soleil existait. Il inondait le cours d’Estienne-d’Orves. Je me laissai porter par la douce chaleur. Les mains dans les poches, j’allai jusqu’à la place aux Huiles. Sur le Vieux-Port.
Une odeur, forte, montait de l’eau. Un mélange d’huile, de cambouis, d’eau salée. Ça ne sentait franchement pas bon. Ça puait, aurais-je dis un autre jour. Mais là, elle me fit un bien immense, cette odeur, un parfum de bonheur. Vrai, humain, c’est comme si Marseille me prenait à la gorge. Le « teuf-teuf » de mon bateau me revint en mémoire. Je me vis en mer, en train de pêcher. Je souris. La vie, en moi, reprenait place. Par les choses les plus simples.
Le ferry-boat arriva. Je m’offris un aller-retour pour le plus court et le plus beau des voyages. La traversée de Marseille. Quai du Port, Quai de Rive-Neuve. Il y avait peu de monde, à cette heure. Des vieux. Une mère qui donnait le biberon à son bébé. Je me surpris à fredonner Chella Ila. Une vieille chanson napolitaine de Renato. Je retrouvais mes marques. Avec les souvenirs qui vont avec. Mon père m’avait assis sur la fenêtre du ferry-boat et il me disait : « regarde, Fabio, regarde. C’est l’entrée du port. Tu vois. Le fort Saint-Nicolas. Le fort Saint-Jean. Et là, le Pharo. Tu vois, et après, c’est la mer. Le large ». Je sentais es grosses mains qui me tenaient sous les aisselles. J’avais quoi ? Six ou sept ans, pas plus. Cette nuit-là, j’avais rêvé d’être marin.
Place de la Mairie, les vieux qui descendirent furent remplacés par d’autres vieux. La mère de la famille me regarda avant de quitter le ferry-boat. Je lui souris.
Une lycéenne monta. Du genre de celles qui fleurissent à Marseille mieux qu’ailleurs. Père ou mère antillais, peut-être. Les cheveux longs et frisés. Les seins bien droits devant elle. La jupe à ras la pâquerette. Elle vint me demander du feu, parce que je l’avais regardée. Elle me coula un regard à la Lauren Bacall, sans un sourire. Puis elle alla se planter de l’autre côté de la cabine. Je n’eus pas le temps de lui dire merci. Pour ce plaisir de ses yeux dans les miens.

Extrait du livre
« Chourmo »