Folk-song…chant du peuple

« Tous les paysans viendront entendre les vieilles chansons de leurs grands-parents ». A la veille du second Festival International de Folk-song, cette affirmation des organisations était un pari. Tous les paysans ne sont pas venus mais malgré tout le pari a été gagné. (1)

 

A Malataverne ( Drôme), plus de 12 000 personnes massées devant le podium, écoutèrent pendant trois jours une musique qu’en effet nos grands-parents n’auraient pas désavouée.

 

En août 1970, à Lambesc ( BDR ), devant 5 000 jeunes environ, s’était tenu le 1er Festival, le seul qui se soit déroulé totalement en dehors des circuits commerciaux.

 

Entre le premier et le second Festival le nombre de participants a presque triplé. Si au lendemain de Malataverne les animateurs du « Folk-song International »s’interrogent sur la portée de leur Festival, ils ne sont les seuls à se poser des questions. En effet, personne ne peut rester indifférent face à une manifestation d’une telle ampleur.

 

 

Beatnik or not beatnik

 

Il serait facile, et même simpliste, d’affirmer que ce fut pendant ces trois jours le grand rassemblement des cheveux longs, des barbes sales, des drogués et de tous ceux que l’on étiquette -sans discussion- du titre -vague- de beatniks ou de hippies.

 

Bien sûr, à ce « rendez-vous musical » ils sont venus d’un peu partout de France et d’ailleurs suivis de leur mot d’ordre : « Faites l’amour et pas la guerre » car peut-être sont-ils plus réceptifs à la musique, à cette musique ?…

 

Mais le folk-song serait-elle une musique marginale, une musique pour jeunes hirsutes ?… Il faut s’expliquer là-dessus afin d’éviter les confusions souvent désobligeantes et pour les musiciens et pour les spectateurs, afin surtout de rendre au folk-song ce qui lui appartient, ce qui lui est propre.

 

 

Le chant du peuple

 

Le folk-song est politique. Affirmer cela sans détours est une lapalissade. Comment la musique du peuple –et j’entends là non pas la musique écoutée par le peuple, mais celle créée par lui au fil des siècles ( et dont on refuse d’admettre l’existence quand, par exemple, on mutile le mot culture de son adjectif « nationale » ) – comment la musique du peuple pourrait-elle être apolitique ?

 

« Jouer de la musique folklorique est un acte politique »… écrit Jacques Vassal, « même avec les chansons « à boire » ou « d’amour », car toute chanson vécue est engagée, donc politique, parce que son interprète s’adresse à d’autres hommes, à d’autres femmes… à d’autres enfants ».

 

Et nous pouvons compléter cette explication. Les chansons populaires, et pas seulement en France, qui se fredonnent aujourd’hui encore ( même en dehors des festivals de folk-song ! ) ont toutes un caractère politique, social et économique. Il suffirait de traduire ( et non de ré-écrire à des fins commerciales ) des chansons « cow-boys » pour qu’apparaîssent en lettres de sang les misères, les joies et les amours du peuple de « l’Ouest », ou les luttes et les combats de cette minorité opprimée, « le peuple du blues ».

 

L’on comprend mieux alors pourquoi folk-song et politique sont indissociables. Pour Derrol Adams, les « ballades » de l’Ouest lointain ont souvent pour noms Vietnam, Corée. Pour Judith Reyes (2) les beaux chants du Mexique pleurent les étudiants morts sous les coups des policiers. Pour Aquill Vaixell le cri s’élève en revendication catalane. Et des chansons du Breton Soizick et de Marty l’occitan retentit la protestation du « pays » mis en coupe réglée par le capitalisme. L’on comprend mieux, pour ces raisons, que nos antennes dites « francophones » répriment par le silence le folk-song régional, français et international (3). L’on comprend mieux enfin combien il est astucieux de développer une propagande qui tend à jeter la confusion entre folk-song, pop-music, beatniks, hippies, manifestants pour la paix au Vietnam, casseurs, gauchistes, etc…Tout dans un même sac qu’il serait ensuite facile d’évacuer !

 

Mais -heureusement- une centralisation culturelle – même la plus autoritaire, ne pourra jamais évacuer une musique qui, pour avoir sa source dans le peuple, a l’âge de notre Histoire.

 

 

« C’est la fête ! »

 

Pour terminer, il faut signaler que ce qui s’est passé à Malataverne n’est pas un acte isolé. Le Festival I permit à bon nombre de jeunes de prendre conscience du « fait folklorique ». Le Festival II prolongea, avec éclat, cette manifestation. Le Festival III, n’en doutons pas, aura un succès encore plus grand, et ce, non seulement chez les jeunes mais chez les moins jeunes… Car le festival est, chaque année, l’aboutissement d’un travail de longue haleine.

 

Depuis son existence le « Folk-song International » poursuit son action en direction de toutes les couches de la population, des villes et des campagnes et de n’importe quel âge. Née à Paris sous l’impulsion de Pierre Toussaint et des musiciens du Club parisien « Le Bourdon » ( entre autre ceux du « grand-Mère Funibus Folk » ) l’Association Folk-song International (4) vit ( survit ) grâce à l’étroite collaboration entre musiciens et « sert de catalyseur à toutes les bonnes volontés dans ce domaine ». Ainsi les groupes circulent en France, s’installant pour deux ou trois semaines dans une région et donnant des concerts dans les usines, les facultés, les lycées, les Maisons des jeunes et de la culture, sur les places de villages…

 

C’est ce travail en profondeur, permettant aux participants de ces soirées folk de retrouver des airs traditionnels, de redécouvrir des instruments d’aujourd’hui introuvables ( reconstitués par les musiciens eux-mêmes et remis à l’ordre du jour (5) qui explique le succès de ce deuxième festival.

 

Bien sûr dans les 12 000 jeunes présents, une bonne partie était victime de cette confusion folk-pop’ et montrèrent une lassitude ( tapageuse ) lors, par exemple, du concert de vielle de René Zosso. Là n’est pas l’essentiel. L’essentiel c’est, de l’avis même d’un animateur du « Grand-Mère Funibus Folk » que ce Festival permit à des jeunes de faire connaissance avec le folk-song, qu’un peu partout durant ces trois jours des groupes se formèrent – musicalement parlant, que la discussion des musiciens – non musiciens fut possible, à tous moments, sans barrière. Il faut dire ici qu’il n’y a pas en folk-song de barrière financière qui crée « l’idole » et les « fans ». Pas d’idoles : les musiciens même les plus célèbres comme Alexis Korner, Peter Thorup ou Carlos Benn Pott viennent gratuitement. Pas de « fans » les uns et les autres se succèdent sur le podium, sans distinction et sont applaudis ( appréciés ) non pas pour leur nom mais pour la musique qu’ils offrent.

 

L’essentiel aussi – et c’est un point acquis sur Lambesc – c’est que ce Festival ait pu voir le jour grâce à la MJC de Montélimar qui lançâ « l’idée », grâce ensuite à la municipalité de Malataverne qui donna son accord, grâce enfin aux associations du village – Société de chasse, de boules, Amicale laïque, Union des vieux, Comité des fêtes.

Tout le pays était concerné.

 

L’importance de ce festival est dans ce simple fait. Le regain du folk-song aussi. Pour la première fois une manifestation musicale n’est pas importée mais se déroulait avec l’accord, l’appui et l’aide de toute une population, population rurale qui plus est !

 

La veille de ces trois jours un conseiller municipal disait : « Le jour du Festival, je prends ma retraite. Cà va être la fête ! « Et en ce sens, il avait pleinement compris l’objectif des organisateurs : « Nous voulons faire la fête, la vraie ! ».

 

Faire la fête, la vraie, c’était renouer avec cette tradition qui se perd peu à peu dans nos villages. Le folk-song c’est la fête au village… Et c’est aussi pour tous la fête des oreilles !

 

 

De la musique et de vrais musiciens

 

S’ils ne se parent pas du titre pompeux d’artistes, de « créateurs », chaque musicien, chaque chanteur folk est véritablement musicien ou chanteur ( ou les deux à la fois ). Ici pas de « sono » outrancière. Le Festival, du fait de sa composition, du nombre de personnes, de son étendue nécessita la présence de micros, mais même dans ce cadre-là la voix reste la voix, la guitare ne donne que le son de sa caisse et les cuillères le bruit des cuillères. De plus, chaque participant connaît son instrument et – pour notre bonheur – en joue de plusieurs…

 

La richesse musicale et vocale de tous jointe à la richesse du folklore national de chaque pays confère au folk-song une place qu’il serait temps de reconnaître comme très importante dans le développement culturel des hommes.